À 23 ans, Nawal Benzaouia, étudiante en Master 2 « Conseiller en accessibilité et accompagnement des publics à besoins éducatifs particuliers », s’est donnée pour mission de promouvoir une vision positive et active du handicap. Le 30 septembre dernier, à Colombo (Sri Lanka), elle organisait le Massira Inclusive Fashion Show, un défilé de mode inclusif avec des modèles et des créateurs venus de tous horizons. Parmi les mannequins, il y avait Salwa, la jeune soeur de Nawal, atteinte de trisomie 21.
J’ai grandi à Saint Louis, une petite ville en Alsace, où j’ai passé mon baccalauréat littéraire. Ensuite, je me suis installée à Strasbourg. J’ai passé le concours d’entrée pour intégrer l’École supérieure en travail éducatif et social de Strasbourg (ESTES) afin d’obtenir mon diplôme d’assistante sociale. J’y ai passé 3 ans, 3 années remplies de rencontres et d’aventures. J’ai pu faire un Erasmus en Belgique, puis partir en stage au Cameroun où j’ai enseigné à Douala dans un centre de rééducation pour sourds qui accueille par ailleurs des enfants atteints d’autres invalidités. J’adore voyager, et je fais de chaque voyage un voyage intérieur. Dans chaque pays que je visite, je choisis d’aller à la rencontre de personnes en situation de handicap et de faire des mini interviews en les questionnant sur leur perception du handicap ainsi que sur le traitement social de celui-ci dans leur pays. C’est une question qui me passionne alors je pars à la quête de réponses armée d’un carnet et d’un stylo. J’ai toujours été très curieuse de tout, avec une envie d’apprendre jamais rassasiée. Un de mes formateurs à l’ESTES l’avait bien remarqué : il m’a alors encouragée à candidater pour le master « Pratiques inclusives handicap accessibilité et accompagnement » (PIH A2) à l’INSHEA.
Ma petite sœur, Salwa, est née avec le syndrome de Down… donc je me suis forcément intéressée au handicap très tôt. Mais je pense que même si cela n’avait pas été le cas, j’aurais tout de même pris cette direction. En arrivant à Strasbourg, je me suis engagée naturellement dans la Délégation 67 de l’Association des paralysés de France (APF). Puis, de fil en aiguille, je me suis investie dans l’European Disability Forum. Mes stages en tant qu’assistante de service social ont aussi toujours été en lien avec le handicap (Éducation nationale, Conseil départemental, hôpital psychiatrique et école des enfants sourds).
La mode est une de mes passions. Pourquoi les personnes en situation de handicap ne pourraient-elles pas aussi défiler pour de grands créateurs ? C’est un énorme défi qui me tient à cœur, notamment pour ma petite sœur. Ce défilé était aussi une manière de montrer au monde que la beauté n’a pas de limite. C’est à l’occasion d’un séjour en Pologne, en octobre 2017, pour l’élection Miss Wheelchair World, que j’ai eu l’idée d’organiser un défilé de mode inclusif. Pour cela, je me suis associée avec Rex Fernando, président de l’Asian European Fashion Week. On se complète bien, c’est un professionnel de la mode et moi j’apporte mon expertise accessibilité.
J’ai travaillé très dur pendant de longs mois à l’organisation de celui-ci, cela n’a pas toujours était évident. Il fallait trouver des sponsors et récolter des fonds, recruter une vingtaine de mannequins (le défilé incluait des mannequins internationaux avec ou sans handicap), des coiffeurs, des maquilleurs, s’occuper de tout l’aspect technique et logistique. Je suis aussi allée à Colombo en amont au Kingsbury Hotel pour vérifier l’accessibilité des lieux et élaborer des stratégies en cas de non accessibilité. Avec mes collaborateurs nous avons monté une équipe technique sur place afin que tout se déroule au mieux. Il fallait également communiquer sur le défilé, trouver les créateurs. Grâce aux réseaux sociaux et nos connaissances nous avons pu obtenir la présence de 8 créateurs reconnus venus de différents pays . Les créateurs ont dû totalement penser leurs tenues pour les personnes en situation de handicap. Le résultat final en valait la peine : plus de 350 personnes sont venues, dont la première dame du Sri Lanka, l’ambassadeur de France du Sri Lanka, l’ambassadeur du Sri Lanka en France, des journalistes, des artistes…
Aujourd’hui grâce aux cours dispensés, je sais établir des diagnostics d’accessibilité, ce qui fut très utile pour mon défilé ! Cela m’a permis de penser complètement différemment le lieu du défilé par exemple. Cette formation m’a aussi apporté des réponses aux questions liées à l’accessibilité universelle et aux politiques inclusives visant à la participation sociale et l’accueil des personnes en situation de handicap. J’ai pu appréhender plus facilement les différents mannequins et leurs besoins. Plus que tout, ce master m’a donné la possibilité d’avoir une visibilité objective et de trouver mon positionnement non plus en tant qu’assistante de service social, mais en tant que future consultante en accessibilité.
Il était plus facile d’organiser le défilé au Sri Lanka du fait du réseau que nous avions sur place. De plus, c’était très intéressant du fait de l’importance de la représentation de la beauté dans ce pays. C’était également un vrai challenge d’organiser un défilé de mode inclusif dans un pays où le handicap est caché, ghettoïsé, il est absent de tout : des manuels scolaires, des publicités, des livres jeunesse… L’impact social et médiatique a été très fort. Avec les mannequins nous nous sommes d’ailleurs rendus dans plusieurs centres qui accueillent des personnes en situation de handicap. Mon but était de créer un espace d’échange et de partage.
Mon prochain défilé est prévu en Inde à New Delhi le 24 février 2019, j’organise celui-ci en collaboration avec une des créatrices présentes au Massira ainsi que Rex. J’ai d’autres projets pour l’Afrique du sud, le Mali, le Sénégal, Marrakech… J’ai également été invitée par la créatrice de mode venant des Etats-Unis, Galina Mihaleva, qui est aussi conférencière sur les fashion technology, à donner un cours à ses étudiants sur l’accessibilité dans le secteur la mode. Aussi dans le cadre du M2 à l’INSHEA, je vais effectuer un stage au Japon à l’Université d’Hokkaido et je travaillerai quelques temps en connexion avec les Jeux paralympiques d’été de 2020 qui se dérouleront à Tokyo ! Enfin récemment j’ai réalisé une bande dessinée qui compte énormément pour moi : ce sont des situations de la vie de tous les jours avec ma petite sœur. J’ai collaboré avec la talentueuse illustratrice Nidonite qui a un univers manga que j’aime beaucoup, et qui peut attirer un public plus jeune. Mon but est de sensibiliser au handicap dès le plus jeune âge et de bousculer les représentations sociales en mettant en avant la trisomie 21. N’oublions pas que la perception du handicap varie en fonction de la place que la société lui accorde, alors soyons acteur d’une inclusion universelle.
Je vous laisse découvrir une de mes planches !
« Massiraa » est le nom de son agence de consulting qui propose des conseils en accessibilité, des formations, et un volet mode avec des shootings inclusifs.
Liens
[1] http://www.instagram.com/nawalbenz
[2] http://www.facebook.com/massiraInclusive
[3] http://www.massiraa.com