Madame Claire Boursier, Directrice des Etudes de l’INS HEA, a accueilli les participants et ouvert la journée en se remémorant son déplacement en Chine en 2009 qui lui avait donné l’occasion de présenter les premiers éléments de notre action. Elle a ensuite mis en avant l’ampleur que celle-ci a prise depuis 5 ans et la richesse des travaux réalisés, pour le développement de l’enseignement des sciences à tous les élèves.
Marie-Hélène Heitz a ensuite rapidement présenté le déroulement de la journée, la matinée étant réservée aux présentations des équipes, l’après-midi étant axée sur la robotique.
Edith Saltiel, après avoir décrit ce qui, à ses yeux, est à retenir de ces cinq années de travail, a détaillé les différentes actions engagées au cours de l’année pour diffuser nos résultats. Ainsi, un numéro spécial du Bulletin de l’union des professeurs de physique et de chimie a été réalisé et sera disponible fin Août. Il comprendra une préface de Pierre Léna, cinq articles de plusieurs enseignants du projet, quatre articles en lien avec le second degré et les fiches DGESCO, un article de Michel Fardeau sur l’histoire du handicap, un autre sur les « dys », et enfin un dernier sur "l’astro pour tous ". Deux autres articles présentant le projet et ses résultats ont été proposés : l’un à la revue du Cerfop, destinée aux enseignants de Segpa et d’Erea qui travaillent avec des adolescents en grande difficulté scolaire, l’autre à la revue Grand N qui rassemble des articles relatifs aux enseignements des mathématiques et des sciences dans le premier et le second degré. Ces deux articles seront publiés avant la fin de l’année civile. Enfin, un document d’une cinquantaine de pages a été rédigé de façon collaborative et sera disponible sur les sites internet de nos deux institutions (INS HEA et La main à la pâte) ; il sera publié pour être distribué. Mis à part ces écrits, notre participation à un séminaire à Mexico a été l’occasion de poursuivre une collaboration initiée l’année passée avec des équipes mexicaines et de partager les expériences et avancées de chacun. De plus, le séminaire des Maisons pour la science a permis de présenter l’action Handi’Sciences aux directeurs et ingénieurs de formation des Maisons et de les amener à réfléchir sur de nouvelles actions ou formations sur la thématique des élèves à besoins éducatifs particuliers.
Les interventions des enseignants ont ensuite débuté, chacun exposant les points saillants de son travail, avec les difficultés, les découvertes ou les surprises, cherchant ainsi à faire partager son expérience tout en dégageant les bénéfices ou les questions survenues lors des expérimentations, dans le cadre des séquences mises en œuvre.
Frédérique a choisi la séquence « le Soleil et nous » (déjà réalisée il y a 5 ans). Elle travaille dans une Clis1 à Cergy, comprenant 13 élèves dont certains se trouvent dans la Clis depuis 5 ans. La séquence a été réalisée en septembre, tous les après-midis de la semaine, afin que les enfants gardent en tête ce qu’ils avaient fait. Cette séquence a impliqué de multiples observations du Soleil et donné lieu à beaucoup de photos. Une difficulté a subsisté pour certains élèves : l’impossibilité de dessiner le contour de l’ombre. Ce travail a eu pour conséquence un apport non prévu initialement : l’assimilation des notions de Nord, Sud, Ouest et Est. Ce qui a été particulièrement intéressant, ce sont toutes les discussions entre les élèves autour de ce que l’on voit et la « réalité » scientifique (le Soleil bouge ou le Soleil est fixe) d’autant que l’on peut relier cela à l’histoire des sciences (modèle héliocentrique ou géocentrique), les scientifiques s’étant « cassé le nez » aussi, comme les enfants !. Beaucoup de dessins ont aussi été réalisés pour accompagner ce travail. Les élèves ont ensuite essayé de décoller l’ombre de leurs pieds. De même, ils ont tenté de faire des expériences à l’intérieur mais ont été confrontés à l’impossibilité de faire le noir complet. L’enseignante a réalisé très peu d’adaptations, s’est appuyée sur la séquence proposée. Sa seule adaptation a été de prendre du temps : une séance proposée a été réalisée sur trois séances.
A la question « y a-t-il une différence entre les élèves de cette année et ceux d’il y a 5 ans ? », Frédérique répond : « Oui, sans doute une curiosité plus importante, qui débouche sur des questions comme « peut-on se détacher de son ombre ? », et des discussions plus acharnées.
Des questions n’ont pas toujours obtenu de réponse, l’expérience pour tenter d’y répondre en classe n’étant pas trouvée… Ainsi, les problèmes comme est-ce le Soleil qui tourne ou la Terre, ou encore (lorsque il s’agissait de simuler à l’intérieur ce qui avait été vu à l’extérieur) où faut-il mettre la lampe ? n’ont pas été résolus. Mais il y a des choses que l’on ne peut pas faire expérimentalement à l’école (comme par exemple savoir qui du Soleil ou de la Terre qui tourne)… ! »
Isabelle a mis en œuvre la séquence « flotte ou coule », dans le cadre de l’hôpital Gustave Roussy, où elle accueille pour les temps de scolarisation des enfants en majorité des cycles 1 et 2, hospitalisés dans le service d’oncologie. Le premier problème qui s’est posé était la langue, certains enfants ne parlant pas le français. Mais cela ne les a pas empêchés de participer et d’agir. Ces difficultés de langage ont diminué avec les expériences car les enfants étaient dans « le faire ». Du coup, leurs camarades commentaient les actions, ce qui a permis aux non-francophones d’acquérir du vocabulaire. Ainsi, la barrière du langage a disparu grâce aux manipulations. Autre difficulté liée à l’hospitalisation, trois élèves sur les cinq présents étaient sous perfusion, ce qui entravait leurs mouvements. D’autre part, la gestion du temps à l’hôpital est difficile : les séances sont décousues à cause des soins, un travail en projet est donc souvent un bon moyen de rassembler tous les élèves. C’est l’occasion pour les présents de raconter aux absents ce qui a été fait, ce qui permet un partage et des temps d’expression sur ce retour réflexif d’activités. À l’hôpital, le fait de réaliser des expériences permet de fédérer un groupe-classe, même si certains élèves ne se croisent qu’une fois. Enfin, ces enfants malades, très centrés sur eux-mêmes, n’avaient pas l’habitude de confronter leurs pensées avec celles des autres, une difficulté spécifique des enfants malades à entrer dans un conflit sociocognitif. Du fait de leurs prises en charge thérapeutiques très individualisées et d’une surprotection fréquente des parents, ayant du mal à frustrer leurs enfants gravement malades, ces jeunes supportaient mal d’être contredits, de participer à un débat qui mettait en cause leurs représentations ou leurs hypothèses expérimentales. Ce fut dur au départ mais, petit à petit, la discussion s’est instaurée entre eux.
En début de séquence, tous avaient comme hypothèse que la flottaison dépendait de la taille : « plus c’est gros, plus ça coule et plus c’est petit plus ça flotte ». Ils ont été amenés à confronter leurs idées lorsque l’enseignante leur a proposé un verre en plastique rempli qui coulait et un pot en verre vide qui flottait.
Pour les enfants jeunes (maternelle), il existe un « côté magique » dans les expériences et ils ont du mal à s’en défaire pour accéder à une approche plus scientifique. En cycle 2, on arrive parfois seulement à déconstruire des représentations sans véritablement accéder à de nouvelles plus précises et pertinentes. Mais cela constitue déjà un premier objectif intéressant à approcher.
La séquence a aussi généré des émotions intéressantes, comme une grande joie devant le constat que la manipulation vérifiait ce que l’élève pensait. Certains ont aussi pu dépasser leur appréhension face aux autres, n’ayant plus peur d'exprimer leurs idées. Ce qui a été intéressant, c’est qu’ils ont réussi à déconstruire les représentations qui étaient les leurs ; ils ont aussi pu mettre des mots sur ce qu’ils avaient vécu. Comme support de communication, Isabelle a utilisé des schémas, des pictogrammes, mais aussi le Makaton[1]. Elle s’est appuyée sur les manipulations, sur le vécu corporel des élèves, le corps étant outil d’apprentissage.
Bernadette, accompagnée de Nadine Sire, a choisi la séquence sur les 5 sens. Elle enseigne dans une Clis 1 rurale depuis 3 ans. Ses élèves de 6/7 ans sont issus de milieux défavorisés (beaucoup sont en famille d’accueil) et ont beaucoup de problèmes avec le langage. Après avoir décrit le déroulement de la séquence qui a fini par un échange avec les élèves des autres classes de cycle 2 et 3, Bernadette et Nadine ont fait le bilan positif de ce travail qui a favorisé la cohésion du groupe, l’entraide, la confiance en soi, mais aussi l’attention et la concentration. Il a aussi été riche pour la production d'écrits et l’acquisition d’un vocabulaire précis, la concentration des élèves a augmenté, des progrès ont été notés du point de vue de la schématisation, mais aussi du langage. Les séances ont été très longues (souvent plus d’une heure), mais les élèves sont restés très captivés. A été ajouté à la séquence un temps d’observation avec un miroir pour regarder sa propre langue. Une séance consacrée à la description des goûts a été intéressante et particulière car les enfants avaient les yeux bandés, cela a nécessité pour les élèves de faire confiance et pour l’enseignante de bien accompagner l’activité.
Lors de leur présentation aux autres classes, les élèves de la Clis se sont aperçus que les autres pouvaient se tromper et ont été capables d’aider, sans donner immédiatement la réponse. Ce projet a ainsi favorisé les inclusions des élèves.
Cette présentation a donné lieu à des discussions autour des aspects subjectifs de nos sensations et de l’importance du choix des ingrédients pour s’assurer d’un accord sur ce qui est amer, acide, ou même sucré. Une difficulté est apparue, celle d’aliments ayant plusieurs saveurs (par exemple une pomme Granny, acide et sucrée). Ne faudrait-il pas privilégier des aliments ayant une saveur unique comme le citron acide ?
Sandrine enseigne en Clis 4 auprès d’élèves en situation de handicap moteur et de troubles de la santé, avec des troubles associés. Du fait de l’importance du temps d’inclusion, 8 élèves (sur les 12 de la Clis) ont participé au projet sur « l’eau des plantes » qui s’est déroulé durant 3 mois, à raison d’une séance par semaine. Les élèves, outre leur faible capacité motrice, avaient des difficultés à travailler de manière individuelle, Sandrine favorisant de ce fait les activités collectives. Ils avaient aussi du mal à imaginer des expériences, à anticiper sur ce qu’ils allaient obtenir en fonction des hypothèses qu’ils avaient posées. Une fois l’expérience réalisée, il leur était difficile d’interpréter ce qu’ils voyaient. Les séances ont toujours été réalisées en groupe et au début, il n’y avait pas beaucoup de questionnement. Pour les aider, Sandrine a guidé les élèves dans leur réflexion, en leur demandant de justifier leurs propositions et en leur rappelant qu’il fallait vérifier avant de conclure. Elle a aussi mis à leur disposition divers matériels, pour susciter son utilisation.
Au départ l’enseignante s’est posé la question de l’utilité du cahier d’expérience et des dessins que les élèves pourraient réaliser dedans. En effet, certains élèves ayant des troubles moteurs avaient du mal à dessiner, car ils avaient conscience que c’était une tâche difficile pour eux. Dans les premières séances, le dessin est apparu comme un frein. L’accompagnement par un adulte à l’élaboration du dessin, en demandant au fur et à mesure à l’élève ce qu’il était en train de dessiner, a été une forme d’adaptation, la proposition de photos venant compléter leurs dessins en était une autre. Les photos ont aussi permis de réactiver la mémoire des élèves à propos de la séance précédente. Les élèves ont alors été en mesure de regarder le résultat de leur expérience pour essayer de l’interpréter. Par la suite, le dessin des expériences ne leur a plus posé de problème et ils ont même ajouté de temps en temps de la couleur pour le rendre plus lisible. Certains ont demandé de le légender, soit en écrivant eux-mêmes, soit en sollicitant l’adulte.
Ce projet a permis une amélioration du langage oral pour tous, deux élèves en particulier osant poser des questions. Tous ont bien intégré que, pour comparer deux expériences, il fallait ne faire varier qu’un seul paramètre à la fois. Le cahier est pour eux une trace qu’ils aiment feuilleter mais il n’est pas encore un outil pour se souvenir, observer ou retrouver le cheminement de leur pensée.
Les échanges avec la salle ont mis en avant l’intérêt de l’utilisation conjointe du dessin et de la photographie, la seconde évitant le travail souvent long du dessin d’observation et laissant place à l’expression personnelle par des commentaires fournis.
Marina a engagé un travail tout au long de l’année sur la biodiversité avec les 12 élèves de sa Clis 1, dont certains font des sciences depuis 5 ans. La première séquence proposée a duré 5 à 6 séances car s’est posé le problème de trouver ce qui permettait de définir la nature. La première définition proposait : la nature c'est ce qui est à l'extérieur. Mais la vache et le chien posaient problème car pour la majorité des élèves, nature équivalait à sauvage. Le chien faisait partie de la nature quand il était à l'extérieur et n'en faisait plus partie à l'intérieur… et pour la vache, cela n’allait pas... les élèves sentaient bien qu'il y avait là une contradiction. Une autre confusion est apparue entre nature et élément naturel (bouquet de fleurs des champs, escalier en bois ou produit « bio »…). Une deuxième tentative de définition créait une confusion avec le vivant (la nature c'est ce qui naît, ce qui grandit et qui meurt). Cherchant à appliquer leur définition à différents éléments qui paraissaient appartenir à la nature, les élèves ont rencontré de nouveaux problèmes : certains sentaient intuitivement que l'eau était un élément naturel non vivant mais il était impossible de lui appliquer la définition qu'ils avaient proposée car ils disent aussi : « l’eau s’agrandit »(cf marées), « elle s’étire » (quand elle coule de la montagne) ou « elle se reproduit » quand il pleut !, comme si elle était vivante.... Ils sont alors allés chercher des connaissances acquises en géographie pour y arriver. Pour la première fois, Marina a vu des transferts volontaires de connaissances d'une matière à une autre afin d'étayer une argumentation. Les élèves ont finalement abouti à la conclusion que leur définition de la Nature était incomplète ou inexacte. Poursuivant leur recherche, ils se sont finalement mis d’accord sur la définition suivante : la Nature est ce qui n'est pas construit par l'homme. La place de l'être humain dans tout cela est restée ambiguë. Pour définir le vivant, la démarche a été tout aussi complexe, les élèves prenant des exemples de plantes à bulbes ou vivaces qui « meurent » et renaissent l'année suivante. Les élèves ont alors proposé diverses expériences pour avancer dans leur tentative de définition.
Marina a constaté chez ses élèves une réelle prise de conscience de leur capacité de raisonner, l’acquisition d’une certaine confiance en eux. Ils ne se sentaient plus remis en cause si leurs propositions s'avéraient inexactes ou si les expérimentations qu'ils proposaient ne donnaient pas le résultat attendu.
La question : Qu’est-ce que la nature ? n’est du reste pas d’ordre scientifique mais plutôt d’ordre philosophique. Elle est cependant particulièrement intéressante à travailler avec les élèves car elle aboutit à poser la question de la place de l’humain dans l’environnement. Du point de vue des sciences et de la biodiversité, les questions sous-jacentes sont celles de la place de l’homme dans les équilibres écologiques et des modifications de ces équilibres induites par l’activité humaine.
Véronique et Olivia sont entrées dans la séquence sur la biodiversité par un élevage de phasmes avec des élèves de cycle 3, scolarisés à l’hôpital de Saint Maurice. Ici le nombre d’élèves varie au cours de l’année et les temps scolaires sont souvent interrompus par les nombreuses rééducations. Tout au long de l’année, l’élevage a été l’occasion de multiples observations, même s’il s’agissait aussi de nourrir les insectes une fois par semaine et de nettoyer les 3 vivariums, dans lesquels se trouvaient des insectes de tailles similaires.
Après un temps d’observation libre, une séance d’observation à l’aide d’une loupe a permis de réaliser des dessins. La question étant par exemple de savoir si les phasmes avaient ou non des pattes, les dessins ont été comparés pour s’accorder collectivement sur les différentes parties de l’animal. Ainsi, la transformation des phasmes, leur changement de couleur, leurs mues, leur alimentation et leurs pontes ont été étudiés. Un cahier collectif a été le support de toutes les observations réalisées au cours de l’année, souvent l’adulte étant le secrétaire des élèves, la principale difficulté des élèves étant la trace écrite. Des affichages collectifs, sous forme de tableaux, ont permis de rassembler les conclusions.
Véronique et Olivia sont convaincues que les sciences sont importantes pour les élèves hospitalisés, parce qu’ils sont alors beaucoup plus actifs. De leur côté, elles ont changé leur façon d’enseigner : elles se taisaient beaucoup plus qu’avant et pouvaient dire qu’elles ne savaient pas !
Edith et Solène ont mis en œuvre le module sur les fourmis, réunissant leurs élèves de début de cycle 3, scolarisés à l’hôpital de Garches majoritairement pour 2 ans au sein de l’EREA J. Brel. Ces jeunes ont principalement des troubles du langage écrit (dyslexie) et du langage oral (dysphasie), mais aussi des troubles moteurs. Depuis qu’elles participent au projet et font faire des sciences à leurs élèves, les deux enseignantes ont pu se rendre compte que cet enseignement redonne aux élèves le plaisir d’apprendre et permet d’émettre des hypothèses ou des idées et de construire des raisonnements. Elles ont conscience de la nécessité pour leurs élèves de raisonner, et de l’importance de transférer cette compétence dans d’autres champs disciplinaires Elles utilisent des pictogrammes structurant la démarche d’investigation, qui, affichés ou inscrits dans les cahiers d’expérience, créent l’envie chez les élèves de réfléchir.
Suivant la séquence proposée, Edith et Solène ont eu du mal à élever les deux sortes[2] de colonies de fourmis qu’elles avaient choisies. Les élèves ont posé beaucoup de questions et formulé de nombreuses idées : A quoi ressemble la fourmi ? (observation), Que mangent-elles ?, Quels sont les différents stades de son développement ?, Où vivent-elles ? Quelles sont leurs spécialisations ? (découverte de la vie en société des fourmis), Comment se reproduisent-elles ?, et la séquence s'est construite au fur et à mesure du questionnement et des réactions des élèves. Elle s’est même enrichie d’une partie sur la reproduction (non développée dans le module proposé). Pour répondre à toutes les questions, il a été nécessaire de faire de nombreuses recherches documentaires (dans des livres et sur internet), et dans ce cadre-là, tout le monde a appris, aussi bien les élèves que les enseignants. Face à leur ignorance de certaines notions et devant leurs propres questionnements, les enseignantes ont avancé avec leurs élèves. Tous ont ainsi acquis un vocabulaire conséquent et sont devenus myrmécologues ! Les élèves (et leurs enseignantes) se savent experts aujourd’hui et en apprennent à leurs parents ! Solène et Edith sont convaincues que science et vocabulaire sont liés, le vérifiant avec des élèves dont la principale difficulté est le langage, les séances de science leur ayant permis d’acquérir et d’utiliser un important vocabulaire spécifique. De plus, les progrès langagiers dont témoigne le développement du lexique scientifique ont permis à des élèves dysphasiques ou dyslexiques de développer des compétences en français et en mathématiques.
Il a été remarqué par la salle que ces deux enseignantes se sont complètement appropriées la séquence et manifestent un vrai changement de posture face aux sciences, et sur le sujet des fourmis tout particulièrement. Ayant déjà tenté l’an passé un élevage et ayant rapporté lors de la précédente journée d’étude les nombreuses difficultés qu’elles avaient rencontrées, elles ont montré de manière spectaculaire un cheminement exemplaire. Aujourd’hui, elles ont acquis une posture scientifique qui leur a permis de construire des connaissances scientifiques multiples.
Jeanne, Monique et Michelle ont abordé conjointement la question de la biodiversité. Jeanne et Monique enseignent dans un institut médico-pédagogique auprès de petits groupes d’enfants de 4 à 16 ans qui ont une déficience intellectuelle moyenne à profonde et avec parfois des troubles associés. Après avoir travaillé l'année passée sur la notion de vivant, elles ont souhaité réfléchir avec leurs élèves sur la préservation de la biodiversité, en lien avec les élèves de CM1 de Michelle Dupont, classe dans laquelle sont inclus régulièrement des élèves de l’IMP. A l’institut, les enseignantes ont réalisé avec leurs élèves différentes sorties d'observation (bois de Vincennes, square du quartier, parc floral, jardin des plantes,…), l'objectif étant de mettre en évidence la notion de chaîne alimentaire, l'interdépendance des espèces, l'importance de préserver la biodiversité et la responsabilité de l'homme dans la préservation ou non de cette biodiversité. Le fait de sortir de la classe et d’avoir des partenariats dans ce projet a été un élément important. Des collections ont aussi été réalisées, un « lombricomposteur » a été installé dans la classe de Monique (support d’observations régulières, le compost étant destiné aux semis de mars). Enfin un abri à insectes a été fabriqué grâce aux matériaux donnés par la classe de CM1. De son côté, Michelle a fait le choix d’aborder la biodiversité à travers la fabrication du pain. Une première série d’expériences a été faite en réalisant des pains avec des farines différentes et en goûtant systématiquement les farines. Ensuite, une séance a été spécifiquement dédiée aux farines. Puis, une séance s’est déroulée avec les élèves de Jeanne et Monique, des binômes ayant été constitués pour l’occasion. Chacun avait une assiette, avec 3 morceaux de pain (pain au blé, pain à l’orge, pain à l’épeautre), et 3 petits pots avec les farines qui avaient servi à fabriquer les pains. Après avoir goûté les pains, les élèves ont commenté les saveurs, les couleurs et les odeurs. Puis les trois farines ont été étudiées à leur tour (odeur, couleur, aspect, goût) pour déterminer quelle farine avait servi à faire quel pain. Malgré la longueur de la séance, tous les élèves ont très bien suivi sans aucun dispersement. Une visite conjointe au parc de Vincennes a conforté les liens créés entre les élèves. Alors que Michelle a le projet de végétaliser le toit du réfectoire de son école, Jeanne et Monique ont fait la demande de disposer d’un petit carré dans un jardin partagé municipal, demande qui a été acceptée et qui va permettre de poursuivre ce travail engagé sur la nature et le vivant.
L’après-midi a été consacrée à la robotique et a débuté par une présentation générale de Daniel Jacquet. Après une introduction historique sur l’« être artificiel » au service de l’homme, Daniel a abordé l’arrivée dans les années 80 des robots à l’école, avec la « tortue Logo »[3], premier robot pédagogique, qui se déplace sur le sol, dont l’objectif principal était d’initier les élèves à la programmation. Les robots pédagogiques sont des outils informatisés qui permettent de construire des situations de résolution de problèmes et des projets. Ils participent au développement du « raisonnement procédural » et sont des supports concrets pour l’apprentissage de l’abstraction. La question de l’intérêt possible des robots de sol pour les élèves en situation de handicap s’est posée rapidement et à partir des années 90, au Cnefei[4], une réflexion s’appuyant sur de nombreuses expérimentations a été mise en place. Le robot de sol est un outil pour « penser avec », c’est un objet qui stimule et favorise en particulier la structuration de la pensée, la méthodologie et la rigueur.
Les participants se sont ensuite trouvés en situation de découverte et d’expérimentation. Ils disposaient de deux ou trois robots différents (Roamer-Too[5], Bee-Bot[6], Thymio[7]) et avaient comme consigne de les mettre en marche, de les étudier et de relever ce qu’ils étaient en mesure de réaliser. Dans un second temps, il leur a été demandé d’avoir une première réflexion sur l’intérêt présumé des robots pour leurs élèves.
Il a mis les participants dans une situation similaire à celle des élèves en classe, et comme eux, chacun touchait, testait, s’interrogeait ou s’étonnait, partageait ses observations. Il est apparu que les trois robots correspondaient à des niveaux différents de complexité. Le Bee-Bot et le Roamer-Too se déplacent en suivant un ensemble d’ordres (avance, tourne à droite, recule, tourne à gauche), qu’ils respectent, quoi qu’il se présente autour d’eux. Le Roamer-Too dispose de compétences supplémentaires (paramétrage de sa vitesse, complexification les ordres selon les élèves ou les activités, association de sons ou d’une voix,..), qui ouvrent de multiples activités ajustées aux niveaux des élèves. De son côté, en plus des possibilités de déplacement des autres robots, le Thymio est en mesure de tenir compte de son environnement (éviter un obstacle, un trou,…), grâce à des capteurs externes et à un ensemble de « rôles » spécifiques qui peuvent lui être attribués. Il se situe à un échelon supérieur de complexité dans la robotique car il interagit avec son environnement et le prend en compte.
En ce qui concerne la transmission des ordres aux robots, deux possibilités se présentent : soit agir directement sur le robot en appuyant successivement sur des touches disponibles sur le robot et en demandant ensuite au robot de réaliser la commande, soit utiliser un logiciel de programmation associé au robot, les différentes actions étant transmises ensuite au robot pour application. Les expérimentations n’ont pas permis d’aborder l’utilisation d’un logiciel associé, mais il a été pris en compte dans les échanges.
Cette première phase de manipulation et d’appropriation de l’objet a paru indispensable à tous, même si toutes les possibilités des robots n’ont pas été explorées. Ce n’est qu’ensuite que le groupe a pu s’interroger sur l’intérêt des robots de plancher avec des élèves en situation de handicap.
Le robot est un objet attractif, qui pose des problèmes et qui permet à l’enseignant de faire entrer l’élève dans la tâche et le travail scolaire.
Dans une première phase de découverte, le robot est prétexte à échanges, discussions, confrontation d’idées et hypothèses et place les élèves en situation d’investigation. Le robot peut donc avoir une dimension de socialisation. Une fois les possibilités listées et repérées, les élèves sont amenés à résoudre des problèmes/défis. Il s’agit alors de programmer le parcours du robot, soit en temps réel (on agit sur le robot et celui-ci s’exécute), soit en différé (le programme est constitué par le biais du logiciel et transmis ensuite au robot).
L’élève agit sur le robot afin qu’il réalise ce qu’il a prévu et qu’il fasse « à sa place ». L’élève a « un savoir qui est source de pouvoir »[8] en faisant faire le robot et en agissant sur son environnement, ce qui peut restaurer un sentiment de compétence chez certains jeunes. Il travaille différents niveaux de cause à effet (la programmation entraînant le déplacement du robot).
L’élève doit se servir des compétences du robot pour choisir, organiser et prévoir ses déplacements. Il crée une succession de commandes, donc anticipe et planifie les actions du robot. Une fois celui-ci en mouvement, l’élève doit vérifier que sa programmation est juste et que le robot réalise bien ce qui est attendu. Souvent, le programme est incorrect, ce qui oblige l’élève à des tests, dans une phase d’essai/erreur, jusqu’à obtenir ce qui est souhaité.
L’élève est amené à s’approprier l’espace et à travailler le schéma corporel (certains élèves ont montré qu’ils ne maitrisaient pas l’action « recule », par exemple). Ainsi, avant de programmer le robot, l’élève peut faire lui-même le chemin que le robot doit parcourir, en verbalisant des déplacements (avance – tourne à droite – avance- avance…).Ainsi, c’est aussi l’occasion d’un travail de langage et de précision du vocabulaire (car il faut décrire l’action pour pouvoir la faire faire).
Selon les élèves, il est sans doute utile/intéressant de choisir le robot le plus proche de leurs besoins. Même des non-lecteurs peuvent apprendre à reconnaitre les « blocs » de programmation des logiciels et créer de petits programmes. D’autre part, les différentes phases de programmation peuvent être partagées par plusieurs élèves (celui qui propose les actions, celui qui programme, celui qui vérifie…), l’ensemble du groupe ayant réalisé le défi ou résolu le problème.
Avant de clôturer la journée et de s’accorder sur la suite des travaux, Edith Saltiel et Marie-Hélène Heitz ont sollicité l’avis des présents. Les enseignants sont tous d’accord pour poursuivre leur travail en science avec leurs élèves, dans le cadre de cette action. De nouvelles séances sur l’électricité, les leviers et les forces et sur l’élevage des phasmes ont été souhaitées. Une enseignante dit avoir énormément évolué dans sa pratique pédagogique et voudrait réfléchir pour transférer cela dans d’autres champs disciplinaires, une autre dit avoir beaucoup moins peur de « se lancer ». Une conseillère pédagogique note que les nombreuses adaptations présentées seraient bien utiles aux élèves en difficulté (présents dans toutes les classes ordinaires), une autre est frappée par l’évolution quantitative et qualitative des échanges entre les classes ordinaires et les Clis. Un professeur du second degré constate que dans les lycées professionnels, les enseignants maîtrisent l’enseignement de la science, mais pas autant que les enseignants spécialisés la pédagogie. Le groupe Handi’Sciences, après cinq années d’existence, a de manière générale beaucoup grandi dans la qualité de sa réflexion.
Marie-Hélène Heitz, Edith Saltiel et Clotilde Marin Micewicz, avec leurs remerciements à tous les participants
Compte rendu journée du 5 juin 2015.docx
[1] Mis au point en 1973-74 par Margaret WALKER, orthophoniste, c’est un programme d'aide à la communication et au langage, constitué d’un vocabulaire fonctionnel qui utilise la parole, les signes et/ou les pictogrammes.
[2] Choix de colonies de fourmis « Messor Barbarus » et de fourmis « Lasius niger »
[4] Centre national d’études et de formation pour l’enfance inadaptée, précédente appellation de l’INS HEA
[8] C Sarralié « le Roamer : un randonneur porteur d’aides » in NRAIS n°24 4ème trim 2003