Suite au questionnement de Michel Fardeau sur la possibilité d’étendre la pédagogie préconisée par La main à la pâte aux élèves handicapés, questionnement repris et développé au CNH, il a été envisagé d’entreprendre une réflexion sur ce thème. L’objectif premier était de voir si un enseignement des sciences fondé sur l’investigation pouvait utilement servir à la formation de ces jeunes, et, si tel était le cas, de s’interroger sur les conditions permettant d’optimiser l’utilisation de la démarche : ressources à mobiliser, aménagements à mettre en place, etc.
.Science et Handicap
Apport de la démarche « La main à la pâte »
Synthèse des travaux Novembre 2012
Bref historique
1) En novembre 2009, une journée d’étude regroupant des membres de l’Académie des sciences, de l’inspection de l’Éducation nationale, de l’équipe de l’INS HEA, de La main à la pâte, et de nombreux enseignants de classe de CLIS, a eu lieu à l’INS HEA. Il a été décidé de lancer une expérimentation au cours de l’année 2010-2011 selon une recherche exploratoire s’appuyant sur les effectifs volontairement limités de classes de CLIS 1 et 4.
2) Durant l’année 2010-2011, 11 enseignants de classes de CLIS ont pratiqué un enseignement des sciences fondé sur l’investigation (ESFI) à l’aide de l’une des quatre séquences élaborées par l’équipe INS HEA et La main à la pâte, séquences incluant la réalisation d’un objet technologique et/ou des expérimentations.
Chaque enseignant était accompagné par un pédagogue (formateur ou conseiller pédagogique) et aidé, hors la classe, par un scientifique. Dans chaque cas un entretien initial (avant la réalisation de la séquence) et un entretien final (après) ont été menés et enregistrés par les pédagogues. Tous les entretiens ont été transcrits et analysés, et tous les documents produits par les enseignants regroupés (voir documents en annexe). Enfin, une journée d’étude rassemblant tous les acteurs, organisée à l’INS HEA en avril 2011, a permis d’échanger expériences et pratiques.
Les travaux ont tout d’abord mis en évidence la motivation et l’intérêt des enseignants et des élèves et leur souhait de poursuivre le projet. Les élèves ont montré des capacités - inattendues des enseignants - à travailler avec efficacité en groupe et se sont bien investis dans la démarche d’investigation au sein de laquelle ils se sont montrés à la fois plus réactifs et plus actifs. S’appropriant ce que les enseignants nomment la démarche « essai-erreur », les élèves ont évolué dans leur perception de l’erreur comme partie utile de l’apprentissage.
Face aux difficultés devant le dessin, la schématisation et l’écriture, même si certains enseignants ont constaté une évolution positive chez certains élèves, la représentation du réel continue de poser problème chez bon nombre d’entre eux. Pourtant, tous sont d’accord pour dire que les traces, même peu abouties, ont un rôle essentiel pour la mémorisation et la mise en évidence du travail de l’élève. Hormis certains obstacles spécifiques rapportés par les enseignants (par exemple, handicaps physiques en CLIS 4 et phobies en CLIS 1), il est apparu que les expériences conduites dans les différentes classes ne donnaient pas lieu à des observations fondamentalement différentes selon les élèves.
Un article[1], s’appuyant notamment sur les transcriptions et analyses, a été rédigé et soumis à l"International Journal of Special Education" en date du 24 septembre 2012.
3) Durant l’année 2011-2012, seize équipes (CLIS1 et CLIS4, d’EREA, d’unités d’enseignement et une classe de CE1 ordinaire) ont pratiqué un enseignement des sciences fondé sur l’investigation (ESFI) à l’aide de l’une des quatre nouvelles séquences élaborées par l’équipe INS HEA et La main à la pâte, séquences incluant des expérimentations.
Le protocole mis en place était identique à celui de l’année précédente : un accompagnement par un pédagogue et l’aide, hors la classe, par un scientifique ; un entretien initial (avant la réalisation de la séquence) et un entretien final (après), menés et enregistrés par les pédagogues puis transcrits et analysés ; le recueil de données écrites (cahiers d’expériences, affiches) et visuelles (photos, films), tous les documents rassemblé dans un espace numérique de travail ; une journée d’études pour mettre en commun les actions et les réflexions.
Compte tenu des résultats de 2010-2011, il a été décidé pour 2011-2012 de demander aux enseignants que chaque élève ait un cahier d’expériences et d’essayer de répondre aux deux questions suivantes : « Un enseignement fondé sur l’investigation peut-il améliorer les compétences écrites (textes, dessins, schémas) des élèves en situation de handicap et scolarisés ? » et « Quel est le rôle et l’intérêt des rituels en début et fin de séance, particulièrement pour un enseignement des sciences fondé sur l’investigation ? »
Premiers résultats
· Tous les enseignants ont réussi à ce que chaque élève ait un cahier, mais certains n’ont fourni aux élèves ce cahier qu’en fin de séquence, ne sachant pas vraiment comment le gérer
· Une question est apparue concernant le statut des écrits du cahier : peut-il y avoir des écrits erronés ou le cahier doit-il au contraire ne contenir que des écrits « corrects » ?
· Une évolution très positive dans les dessins/schémas, schémas qui facilitent le passage à l’écrit et qui constituent également un premier pas vers l’abstraction.
· Des compétences langagières accrues (vocabulaire, syntaxe)
· La nécessité de rituels à chaque début de séance afin de créer un espace rassurant propice aux apprentissages et aux prises de parole
· Le besoin de rituels en cours et en fin de séance (même si ces derniers sont variables selon les lieux et les enseignants), ces rituels aidant à la réactivation de la mémoire et bien souvent permettant à ces élèves de se concentrer et de se préparer à « penser »
· Un effet structurant de la démarche, support d’organisation, de planification, de compréhension et de progression intellectuelle
· La manipulation, source d’expérience, de socialisation et de support pour penser, est nécessaire mais non suffisante
Projet pour 2012-2013
Compte tenu des premiers résultats, le travail engagé se poursuivra autour des questions suivantes :
· Dans quelle mesure l’enseignement scientifique fondé sur l’investigation (ESFI) participe à l’acquisition des compétences écrites (textes, dessins, schémas) des élèves à besoins éducatifs particuliers, scolarisés en CLIS 1, CLIS 4, EREA ou unité d’enseignement ?
· Tous les enseignants vont-ils dès la première séance fournir aux élèves un cahier d’expériences ? Comment sera-t-il utilisé ?
· La démarche « essai-erreur », acceptée et reconnue par les enseignants et les élèves lorsqu’ils manipulent, est-elle acceptée et reconnue avec les écrits du cahier ?
· En quoi l’ESFI permet à ces élèves l’accès à une certaine abstraction ?
· Quels sont, dans le cadre de l’ESFI, les indicateurs de progrès des élèves ?
· Les évaluations proposées permettent-elles de montrer que les élèves acquièrent autre chose que des connaissances scientifiques ?
· L’ESFI, accompagné de l’évaluation formative, en permettant le travail de groupe, la démarche « essai-erreur » (tant dans les manipulations que dans les écrits) et les échanges entre élèves, permet-il à ces élèves d’avoir une plus grande confiance en eux et d’accepter les désaccords avec leurs pairs ?
L’objectif de cette troisième phase est de poursuivre notre réflexion sur le rôle de l’ESFI, en ce qui concerne l’expression orale et écrite des élèves et en particulier le passage du dessin au schéma, la place du cahier d’expérience, les conséquences sur les apprentissages des élèves. L’étude conserve comme principal objectif d’identifier les particularités de l’ESFI susceptibles d’aider les élèves handicapés à s’intégrer dans des classes ordinaires. Un travail en collaboration avec des classes ordinaires pourrait permettre d’en pointer les bénéfices, pour les élèves et les enseignants de celles-ci.
En conséquence, l’expérience continue avec le même type de protocole, en incluant dans les séquences proposées des éléments d’évaluation formative, en se centrant beaucoup plus sur le cahier et sur le passage dessin/schéma et enfin en associant si possible plus systématiquement à ce programme des enseignants de classes ordinaires.
Actuellement, 13 enseignants (6 de CLIS 1 et 4, 5 d’UE et 2 d’EREA), dont 7 déjà engagés depuis le début de l’opération, vont mettre en oeuvre l’une des neuf séquences élaborées par l’équipe INS HEA et La main à la pâte. Ces séquences, déjà proposées les années précédentes, ont été revues et enrichies en tenant compte des remarques des enseignants et pour y inclure des éléments d’évaluation formative. Le protocole reste le même que précédemment.
Thèmes proposés cette année : Le Soleil, Les cinq sens et l’alimentation, L’eau et les plantes, Le déplacement des lombrics, Flotte ou coule 1 et 2, Le circuit électrique, Le manège électrique, L’air.
Enfin, un accompagnement prévu dans le cadre de la conception de séquences en robotique et sur le système solaire.
[1] « Contributions and difficulties in forming an inquiry-based approach with mentally or motor disabled pupils: the teachers’ point of view», Marie-Hélène Heitz, Philippe Garnier, Maud Guédin-Dumont, Patrice Renaud et Edith Saltiel