L’Institut National Supérieur de formation et de recherche pour l’éducation des jeunes Handicapés et les Enseignements Adaptés (INS HEA) l’Académie des sciences et La main à la pâte ont entrepris une recherche prenant appui sur différents contextes de scolarisation des élèves handicapés.
Projet la main à la pâte et le handicap
Faisant suite au questionnement du Conseil du handicap sur la possibilité d’étendre la pédagogie préconisée par La main à la pâte aux élèves handicapés scolarisés dans divers dispositifs, l’Académie des sciences et l’INS HEA ont engagé une réflexion commune depuis novembre 2009, avec l’appui de la DGESCO et de Jean-Pierre Delaubier, Inspecteur général de l’Éducation nationale.
L’objectif premier est de voir si un enseignement des sciences fondé sur l’investigation peut utilement servir à la formation de ces jeunes et, si tel est le cas, de s’interroger sur les conditions permettant d’optimiser l’utilisation de la démarche : ressources à mobiliser, aménagements à mettre en place, etc.
Une première phase d’expérimentation s’est déroulée au cours de l’année scolaire 2010-2011, auprès d’élèves scolarisés dans sept CLIS 1 (handicap mental) et quatre CLIS 4 (handicap moteur). Cette enquête exploratoire a concerné onze enseignants répartis dans 7 villes ou régions de France (Amiens, Troyes, Ile de France, Grenoble, Lyon, Marseille, Perpignan), autour d’équipes variant entre 2 et 4 personnes qui ont accompagné les expérimentations, pour un nombre total de 26 adultes et 94 élèves. Cette première phase a permis de collecter toutes sortes de données, que l’équipe INS HEA-La main à la pâte a commencé d’analyser.
Un premier bilan des expérimentations a pu être établi lors d’une journée d’étude réunissant en avril 2011 les différentes équipes engagées dans le projet, et quelques résultats préliminaires ont été présentés en juin 2011 au Comité des partenaires de La main à la pâte de l’Académie des sciences.
1) Fourniture d’outils aux enseignants pour la mise en oeuvre de l’expérimentation (Le projet s’est appuyé sur les ressources de l’équipe La main à la pâte et de l’INS HEA).
- Quatre séquences thématiques (à développer en quatre à cinq séances chacune), conçues à partir du site de La main à la pâte, ont été proposées aux enseignants : « La boussole », « Flotte ou coule », « Le circuit électrique », « Le déplacement des lombrics ». Chaque enseignant en a choisi une et l’a mise en œuvre dans sa classe entre novembre 2010 et mars 2011.
- Des fiches ont été remises aux enseignants, précisant pour chaque thème les objectifs notionnels, méthodologiques, et les progressions possibles dans le cadre de la démarche d’investigation ;
- Un accompagnement scientifique et pédagogique, inspiré de l’ASTEP, a été mis en place.
Du point de vue scientifique, l’accompagnement établi lors de rencontres ou d’échanges en-dehors de la classe, avait pour objectif d’apporter à l’enseignant toutes les connaissances scientifiques qui lui paraissaient nécessaires. Pour certains, cette aide a complété la préparation du déroulement ; pour d’autres, elle a permis d’ouvrir des pistes pour poursuivre le travail au-delà de la séquence. Il a été décidé de ne pas faire venir le scientifique dans la classe pour éviter d’éventuelles tensions.
Du point de vue pédagogique, l’accompagnateur a réalisé des entretiens initial et final avec les enseignants (à partir d’un guide d’entretiens et d’une fiche destinée à en préparer la synthèse), et a parfois facilité, ou réaménagé, le lien avec le scientifique. Dans certains cas, il a fourni des apports pédagogiques adaptés à la demande de l’enseignant. Parfois, le suivi a été plus proche encore et le pédagogue a pu observer et analyser l’ensemble des séances.
2) Premier bilan.
Toutes les équipes participant au projet, qui a rassemblé une trentaine d’enseignants, de scientifiques, de conseillers pédagogiques ou de formateurs, originaires de diverses régions (en plus des villes déjà nommées, Le Mans, Flavigny sur Moselle, Reims et quelques localités de la région parisienne) ont été réunies lors d’une journée d’étude tenue à l’INS HEA le 1er avril 2011.
L’objectif de la journée était de permettre aux enseignants de présenter leurs travaux, de confronter leurs observations et leurs interrogations. Il s’agissait également de dégager ensemble les éléments les plus saillants apparus au cours de l’expérimentation, qu’il s’agisse de la démarche d’investigation dans ce contexte particulier que constitue l’enseignement des sciences auprès d’élèves en situation de handicap, ou des formes de son appropriation par ces élèves.
Pour cela, des groupes ont été constitués au cours de la journée, pour engager la réflexion dans quelques directions préalablement retenues dont :
o le développement des compétences langagières (orales et écrites),
o la représentation, la trace, la schématisation (de la réalisation, de l'observation, de l'expérience) ;
o la résolution de problèmes ;
o l'apprentissage du travail en groupe (travail collectif et non seulement individuel) ;
o l’importance des manipulations dans la motivation et l’apprentissage des élèves ;
o la bonne distance de l’enseignant, entre "aider et faire" ;
Résultats
Cette journée a permis de dégager un certain nombre de résultats, en particulier de percevoir et d’expliciter certains apports et certaines limites de l’exprimentation, afin de les mettre à l’épreuve dans une deuxième étape.
Toutes les séquences étaient achevées au moment de la journée d’étude, certaines se prolongeant parfois par de nouvelles séquences. Deux CLIS 1 ont travaillé sur « La boussole », trois CLIS 1 et deux CLIS 4 sur « Le circuit électrique », une CLIS 1 et deux CLIS 4 sur « Flotte et coule » et une CLIS 1 sur « Le déplacement des lombrics ». Tous les enseignants ont été satisfaits de ces séquences, même si la plupart, en raison des différences entre handicaps, ont été amenés à en subdiviser certaines en plusieurs parties
Un point assez surprenant : malgré de grandes différences entre les groupes d’élèves et les contextes des CLIS, les participants ont relevé peu de différences dans les difficultés rencontrées (les différences relèvant plutôt de variations dans les modalités d’application du protocole) : ils ont en particulier souligné celles qui, chez les élèves, sont liées à l’écrit, à la représentation et la schématisation.
L’analyse des entretiens initiaux et finals (une vingtaine d’enregistrements d’entretiens, plus de vingt-cinq retranscriptions et synthèses), a permis de dégager un certain nombre de constats et a donné lieu à la réalisation d’un article soumissionné dans une revue internationnale de sciences de l’éducation. Ainsi :
- La grande majorité (91%) des enseignants a apprécié les documents fournis et tous ont été satisfaits par l’approche Main à la pâte, tant du côté des apports aux élèves (plaisir, motivation, acquisition de nouvelles compétences et connaissances) que du côté de leur propre pratique pédagogique (possibilité d’observer plus, réflexion personnelle sur sa pratique professionnelle) et souhaitent reconduire un tel enseignement des sciences l’an prochain.
- Une petite moitié (45%) des enseignants déclare avoir mis en œuvre une pratique pédagogique particulière, différente de sa pratique habituelle mais tous ont d’eux-mêmes choisi de créer un rituel qui a permis aux élèves de s’y retrouver. De plus, certains ont transféré les étapes de la démarche d’investigation dans d’autres domaines d’apprentissage (lecture et mathématiques). D’autre part, ont été mentionnés soit les apports positifs, soit l’intérêt du travail de groupe, modalité pédagogique peu utilisée par les enseignants dans leur pratique quotidienne.
- Les difficultés liées au handicap concernaient essentiellement des problèmes individuels spécifiques. Quelques difficultés matérielles ont été rencontrées mais elles ont été majoritairement prises en compte par les enseignants avant de débuter les séances. Trois enseignants (27%) ont fait état de la nécessité de disposer de matériel de plus grande taille (soit pour être mieux vu, soit pour pouvoir être tenu par l’élève).
- Quatre enseignants (36%)ont indiqué que le dessin, la schématisation, la représentation du réel et l’écriture étaient particulièrement difficiles pour la plupart des élèves, soit à cause de déficiences cognitives, soit à cause de leur handicap moteur ou des troubles associés. Pourtant, lors de la rencontre générale, ils ont été nombreux à déclarer que les écrits, mêmes s’ils étaient laborieux et peu aboutis, permettaient cependant de mémoriser la trace du travail de l’élève et s’avéraient donc essentiels.
- Trois enseignants (27%) ont insisté sur le fait qu’avec cette démarche pédagogique, les élèves acceptaient plus facilement l’idée de commettre des erreurs. L’erreur n’était alors plus synonyme d’échec, ce qui est particulièrement important pour ces élèves.
- Tous déclarent qu’il est important d’arriver à la fin de la séquence à la construction d’un « produit » (un objet, une manifestation clôturant le projet,…) et considèrent majoritairement que ce type d’enseignement a été bénéfique pour les élèves qui ont bien investi la démarche.
La poursuite de l’analyse et la rédaction des résultats va permettre de composer un article qui sera proposé par l’équipe à une revue internationale de pédagogie.
D’autre part, en ce qui concerne les expérimentations, quelques axes de recherche sont choisis. Ils permettront à l’équipe INSHEA-MAP de proposer
- cinq séquences (nouvelles ou revues) à mettre en œuvre au cours de l’année scolaire 2011-2012 avec une proposition d’évaluation formatives et sommatives des élèves ;
- un recueil plus précis des difficultés rencontrées par ces derniers, en particulier en ce qui concerne l’écrit et la schématisation, ainsi que certaines difficultés conceptuelles probablement liées au thème étudié. De plus, il sera demandé à tous les enseignants que chaque élève dispose d’un cahier d’expérience d’un format identique. Enfin, une focale sera faite sur les rituels de début et de fin de séance, pour en dégager leurs caractéristiques et intérêts.
- Pour ce faire, le protocole des entretiens initiaux et finals devra être modifié pour mieux répondre aux questions de recherche choisies et en particulier dégager des conclusions moins impresssionistes. La réunion de tous les acteurs (enseignants, pédagogues et scientifiques) en mai 2012 permettra de clarifier certains aspects abordés lors des entretiens et complètera de façon fructueuse le recueil de données.